Les Français sont connus pour être un peuple qui aime discuter, se critiquer, pinailler : on en a eu quelques séquences récemment qui ont parfois tourné à l’hystérie.
C’en fut au point qu’un hebdomadaire d’actualités a titré en première de couverture : Du CALME !
Je ne peux m’empêcher de mettre cela en relation avec l’épidémie de burn‐out ou épuisement numérique qui atteindrait certaines populations. Ainsi en Allemagne 13 millions de salariés souffriraient de ce syndrome. Du coup, nombre de grandes sociétés allemandes règlementent l’accès de leurs salariés à leurs messageries professionnelles pour essayer de le limiter.
Je n’ai pas de conseils psycho‐médicaux à donner, par contre j’en ai un d’un autre ordre : faites une bonne cure de lecture, de préférence sur papier. Vous vous détacherez un peu des 6 ou 7 écrans qui peuplent vos bureaux, vos poches, vos mallettes, vos domiciles, et vous pourrez tester l’adage anglo-saxon qui nous dit : « Paper speaks to us quietly. »
Vous aurez alors un choix très large de lectures possibles : un document publicitaire, un catalogue, un journal, un magazine d’actualité, un magasine spécialisé, un mook, un roman, une biographie, un atlas, un livre d’histoire ou d’histoires, un livre de prières, un livre de cuisine, un livre d’art, un album photos, etc, etc, etc….
Et ne tombez pas dans le piège de ceux qui vont vous dire que c’est ringard, pas moderne : faire du papier et l’imprimer fait appel aux technologies les plus modernes (une bonne vingtaine). L’imprimé actuel est tout aussi moderne qu’un Airbus…
Mais qu’est ce que lire ?
Abrité à la cité des Sciences et de l’Industrie de la Villette, il y a un laboratoire qui mesure les processus d’attention à partir des mouvements de l’œil et qui les corrèle avec l’activation des zones du cerveau. Son directeur scientifique s’appelle Thierry Baccino.
Que nous dit‐il de la lecture ?
L’acte de lire se déroule en 3 phases : détection des lettres, identification des mots, compréhension des textes…
Seule une zone du cerveau située dans l’hémisphère gauche est capable d’assurer la reconnaissance des mots écrits.
En plus notre cerveau n’a pas changé depuis les Babyloniens, ses capacités de perception, de mémorisation sont les mêmes.
La différence avec non seulement les Babyloniens, mais même nos ancêtres proches, est que nous disposons de beaucoup plus d’informations, de connaissances, d’outils d’indexation et de récupération des données.
Cela aide‐t‐il à lire ? Probablement pas : toutes les études récentes de psychologie cognitive qui analysent les mouvements de l’œil montrent combien la lecture papier permet à l’œil et donc au cerveau de mieux fixer les textes présentés, grâce à la stabilité du texte, grâce aux possibilités de retours rapides sur les mots déjà vus. Pour bien lire, le cerveau utilise aussi une mémoire spatiale que le numérique n’assure pas.
En plus, pour bien comprendre un texte, il faut nous appuyer sur notre mémoire qui permet une projection de nos connaissances sur le texte lu.
Déléguer à des moteurs de recherche n’aide probablement pas à construire cette mémoire, d’où des difficultés supplémentaires à construire sa propre mémoire, donc à bien comprendre ce que l’on est amené à lire.
Dans un document imprimé, l’auteur a aménagé un chemin de lecture vers la compréhension la plus simple et la plus cohérente de son texte. Dans l’hypertexte, le lecteur commence par prendre le même chemin, mais les sollicitations extérieures peuvent facilement le détourner du cheminement proposé, et rendre le message plus difficile à lire ! On appelle cela la désorientation cognitive.
Lire et chercher le plus rapidement possible une information n’occupent pas les mêmes zones cérébrales et, l’on sait que notre cerveau ne sait bien faire qu’une tâche à la fois, d’où un risque de surcharge cognitive…
J’ajouterai ceci à ces remarques : si l’on pousse la réflexion un peu plus, c’est la capacité à raisonner qui est en danger : le web en nous sollicitant en permanence risque de nous mener à un certain vagabondage numérique. Le mimétisme risque de remplacer le raisonnement.
L’imprimé essaie lui de nous ramener à l’origine de tout raisonnement.
Les tablettes, les liseuses ont amené des progrès dans leurs possibilités de lecture profonde, mais on ne manquera de remarquer que ces progrès ont comme objectif de (re) copier le papier imprimé. Ils n’y arrivent pas encore complètement, et cela montre bien à quel point celui‐ci reste pour le moment et quelque temps encore, la référence pour une lecture réellement complète, profonde, au service de la pensée humaine.
Ces réflexions basées sur des observations scientifiques ne remettent pas en question la complémentarité à construire entre les différents supports, mais en même temps, elles contiennent une forme de mise en garde à tous ceux qui poussés par certains industriels pressés et pressants veulent un peu vite faire table rase du passé…
Jacques de Rotalier
Consultant Média Imprimé